« Ne soyez plus des vecteurs de la désinformation ». Pendant deux jours, Jean-Tobie Okala, responsable de l’information publique du bureau de la MONUSCO à Beni a martelé ce message devant une soixantaine de journalistes, militants de partis politiques, administrateurs des groupes Whats’App et jeunes, venus de Lubero, Butembo, Oicha et Beni.
Au dernier jour de l’atelier, vendredi 7 juillet, il a notamment expliqué qu’une fausse information sur un supposé transport d’armes dans un véhicule humanitaire pouvait, par exemple, priver des personnes nécessiteuses d’une aide dont elles avaient besoin.
« Vérifier avant de diffuser ». C’était le message de cet atelier.
Jonas Mbango ne l’a pas toujours fait. Il dirige pourtant un groupe Whats’App qui rassemble plus de deux cents membres, «Beni, chez nous».
Il reconnaît que, par le passé, il a laissé se propager des informations qu’il n’avait pas vérifié et dont il a appris, par la suite, qu’elles étaient fausses. « C’était de l’ignorance », plaide-t-il aujourd’hui.
« Maintenant, je sais qu’on peut, grâce à Photoshop, fabriqué le logo d’un grand media et y associer une information que ce media n’a jamais diffusé. J’ai appris lors de cet atelier qu’il faut aller sur le site Internet du media en question pour voir si, effectivement, cette information a bien été diffusée », explique le trentenaire.
«Tout le monde se croit journaliste»
Personne n’est à l’abri de la désinformation. Pas même les journalistes. Dieubon Mughenze travaille dans la presse devant 2016. D’abord à la radio puis pour un media en ligne.
Il regrette qu’aujourd’hui n’importe qui, smartphone à la main, peut s’improviser journaliste et partager des contenus que de nombreuses personnes vont prendre pour parole d’évangile. Même des journalistes formés.
Il en veut pour preuve des images partagées notamment dans des groupes Whats’App au lendemain des massacres à Beni.
« Il y a des journalistes paresseux qui font le décompte des victimes sur base de ces seules images alors qu’il faut vérifier avec des personnes qui sont sur place », s’emporte le jeune journaliste.
Dieubon Mughenze avoue qu’aujourd’hui, la pratique du journalisme est plus complexe. Les nouveaux médias, les outils numériques de traitement et de création des contenus visuels ainsi que la multiplication des acteurs de l’information obligent le journaliste à être plus vigilant.
« Le métier est plus complexe, argumente-t-il. On a aujourd’hui, par exemple, des influenceurs qu’on ne connaissait pas hier et qui ont une telle influence qu’un journaliste peut trouver légitime de partager des contenus relayés par un influenceur sans forcément vérifier ».
Depuis cinq ans qu’il travaille pour le compte du média en ligne election-net.com, Dieubon Mughenze ne rate plus une occasion pour se former et en apprendre davantage sur la manipulation de l’information.
Une manipulation qui n’est pas toujours volontaire.
«J’étais convaincue…»
C’est en tout ce que plaide aujourd’hui Divine Kavira. La jeune femme raconte dans un grand rire qui cache mal sa gêne avoir longtemps accusé, à tort, des casques bleus népalais de fournir aux ADF des machettes.
La raison : elle les a souvent vus acheter des machettes au principal marché de Beni.
Elle en a parlé à son entourage et a convaincu ses proches que les rumeurs sur le soutien de la MONUSCO aux groupes armés étaient avérées.
« J’étais convaincue parce que moi-même, je les avais vus. Mais quand j’ai posé la question lors de l’atelier, on m’a expliquée pourquoi ils achetaient ces machettes », fait-elle savoir, avant de s’engager à faire plus attention à l’avenir :
« Désormais, je vais tout vérifier avant de partager avec mes proches ou d’écrire sur Whats’App. »
Qu’elle soit un acte volontaire ou le fruit de l’ignorance, la désinformation peut entraîner des conséquences sociales graves.
« De ce que nous écrivons sur Internet ou disons devant un micro dépend la paix sociale », a résumé Jean-Tobie Okala.
Même plaidoyer de la part le chef de bureau intérimaire de la MONUSCO à Beni.
Abdourahamane Ganda a rappelé les «énormes dégâts sociaux et humains que provoquent la désinformation et les discours de haine ou incitatifs à la haine». Il a « supplié » les participants à mettre en pratique ce qu’ils ont reçu comme enseignements afin de devenir des « gladiateurs de la désinformation ».
Pour conclure l’atelier, le président du Parlement des jeunes de Beni a souhaité que d’autres acteurs de la vie publique à Beni soient associés à des activités similaires à l’avenir pour que le message atteigne le maximum de personnes possibles.
Car, comme l’a fait remarquer le Premier substitut du procureur de la République qui est intervenu au cours des débats, diffuser de fausses informations ou des messages de haine peut avoir des conséquences pénales.
« Nous avons rappelé aux journalistes que leur liberté est limitée par le respect de la loi, de l’ordre public mais aussi des bonnes mœurs. Ce qui fait qu’un journaliste n’est pas libre de diffuser n’importe quoi. Il n’est pas libre de communiquer un message qui inciterait à la haine puisque la loi prévoit des peines contre tous ceux qui diffusent des messages d’incitation à la haine », a déclaré Georges Mimboro.