Comme chaque année, la communauté nationale célèbre ce jeudi 30 avril 2008 la journée de l’enseignement. Qu’est-ce qui est important pour améliorer le niveau même de l’enseignement ? Le père Léon de Saint Moulin, prêtre catholique qui a 50 ans d’expérience dans ce domaine, vient de mener une enquête en mars dernier à Kinshasa sur l’éducation. Ce prêtre jésuite a dirigé plusieurs collèges et universités de renom à travers le pays. Il répond aux questions de radiookapi.net
Radio Okapi : Léon de Saint Moulin, bonjour
Léon de Saint Moulin : Bonjour
R O : Comment pouvez-vous tracer l’évolution de l’éducation en RDC ces deux dernières décennies ?
LSM : La première chose à dire qui a frappé très fort les étudiants, c’est l’importance que la population attache à l’éducation. La population voit vraiment dans l’investissement qu’elle fait dans l’éducation de ses enfants la clé de leur avenir. Vraiment l’éducation, les gens y tiennent. Et je crois que oui l’éducation commande l’avenir d’un pays. Donc, primo, les Congolais tiennent à l’éducation de leurs enfants. Je crois que depuis dix ans, vingt ans, effectivement vous voyez l’effort de tout le pays depuis l’indépendance parce que dans les examens d’Etat, au moment de l’indépendance, il n’y avait pas 1 000 élèves en 6ème. Nous avons atteint les 100 000 étudiants aux examens d’Etat en 1990, les 200 000 au début des années 2000, et pour cette année-ci [Ndlr : année scolaire 2007-2008], on dit qu’on arrive à 350 000 candidats aux examens d’Etat. Ils ne sont pas tous excellents. Nous ne prétendons pas que tout va très bien. Mais ça vous montre d’abord une population qui augmente, et d’autre part, des parents qui tous vraiment puisent dans les dernières réserves du ménage pour pouvoir faire étudier leurs enfants.
R O : Est-ce que l’éducation elle-même est de qualité ?
LSM : Vous ne pouvez pas nier que le niveau moyen des journaux s’est considérablement relevé depuis vingt ans. Vous ne pouvez pas nier que la conscientisation de la population, sa participation aux réunions de formation et notamment de formation civique s’est aussi considérablement élargie. Et à Kinshasa il n’y a pas eu de guerres tribales même si certains ont essayé de les provoquer ; parce que la population a pris conscience de son unité, de la nécessité de l’ordre pour progresser. Et donc il y a à Kinshasa et dans l’ensemble du pays une conscientisation nationale politique mais également culturelle qui fait que je considère oui que le Congolais d’aujourd’hui est plus mûr et plus capable de faire face à ses difficultés qu’il y a vingt ans. Et l’éducation y est pour beaucoup. Donc, la formation qu’on donne dans le système scolaire porte des fruits même si je suis d’accord pour dire avec vous qu’il y a malheureusement beaucoup d’enseignants qui ne sont pas à la hauteur et beaucoup d’élèves qui terminent sans connaître tout ce qu’ils devraient avoir maîtrisé.
R O : Qu’est-ce qu’il faut améliorer, père Léon ?
LSM : Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Dans l’enquête que je viens d’évoquer, une question demandée : qu’est-ce qui serait le plus important pour relever le niveau de l’Enseignement ? 59% des réponses indiquent qu’il faut la rémunération convenable et régulière des enseignants. J’ai été recteur d’un grand institut secondaire, le collège Alfajiri à Bukavu en 1983-1984. J’ai dû remplacer un tiers des enseignants du collège en une année scolaire. Mais avec l’Institut supérieur pédagogique, ISP/Bukavu, qui était à côté, j’ai réussi sans trop de difficultés à remplacer les enseignants par des candidats qui avaient au minimum un graduat et même une licence là il faut un enseignant licencié. Aujourd’hui, il est difficile, surtout à l’intérieur, d’avoir des gradués et des licenciés qui acceptent d’aller dans les collèges de Kasongo Lunda, dans un collège à Inongo ou à Dekese. Vraiment c’est devenu très difficile parce que les conditions qu’on leur fait ne sont pas suffisantes. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. La première chose à améliorer c’est le niveau de rémunération des enseignants. C’est parce qu’il (le niveau) s’est trop effondré que vous n’arrivez plus à avoir des enseignants valables dans beaucoup d’écoles secondaires.
R O : D’après vous, à qui revient cette tâche d’améliorer les salaires des enseignants ?
LSM : Les parents ont assumé depuis longtemps une part énorme de tout le coût. Même l’Etat n’assure plus régulièrement la part qu’il devrait assumer puisqu’on dit au moins que l’Enseignement primaire est obligatoire et gratuit. Les enseignants du primaire ne sont pas davantage pris en charge par l’Etat que les autres. Alors, c’est évident qu’il faut une mobilisation générale. Soyons tous d’accord pour dire que l’enseignement, l’éducation, c’est important, il faut y investir ; mais que chacun accepte d’y prendre sa place. Et je crois que l’Etat est incontestablement accusé par la population d’avoir démissionné. Puisse-t-il, lui aussi, valoriser l’éducation et peut-être sélectionner les points sur lesquels il veut mettre l’accent, prendre une définition plus précise de ce qu’il assume, mais qu’on voit que réellement, pour l’Etat aussi, l’enseignement, l’éducation, ce sont des réalités prioritaires.
R O : Père Léon de Saint Moulin, je vous remercie.
LSM : Bonne fête à tous les enseignants et à tous les élèves.