Leïla Zerrougui : « On n’a rien à gagner à empêcher les gens de s’exprimer »

La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies en RDC, Leïla Zerrougui, a séjourné mercredi 18 juillet à Lubumbashi dans le Haut-Katanga. Elle a discuté avec les acteurs politiques et la société civile.  Les questions liées à la criminalité urbaine et aux élections ont été au centre de ses discussions. La MONUSCO va collaborer étroitement avec les autorités provinciales du Haut-Katanga dans la lutte contre la montée des cas de criminalité enregistrés ces derniers temps à Lubumbashi et dans d’autres villes de la province, a déclaré Leïla Zerrougui. A propos du processus électoral, dans le volet décrispation politique, elle conseille à toutes les parties prenantes de respecter les engagements pris dans l’accord du 31 décembre 2016.
 
Radio Okapi : Madame Leïla Zerrougui. Au cours de votre séjour, vous avez rencontré entre autres les représentants des partis politiques et de la société civile. Quelles sont les différentes préoccupations qui vous ont été soumises et comment comptez-vous apporter des solutions ?
 
Leïla Zerrougui : La première préoccupation partagée par l’ensemble des gens avec qui j’ai parlé concerne la sécurité. Des préoccupations concernant cette violence dans les villes, des attaques qui ont affecté des civils, des femmes, il y a eu des viols, des assassinats, je pense que c’est un sujet qui était cardinal. La même préoccupation [soulevée] par la majorité, l’opposition, avec le gouverneur, avec les représentants de la société civile. Mais je pense que nous devons ensemble, nous, Radio Okapi, travailler, pour sensibiliser tout le monde. Je dis que c’est une question qui peut avoir des conséquences graves sur le long terme. J’ai proposé le soutien de la MONUSCO à travers ce qu’on peut faire à travers l’appui à la police, à la justice, mais aussi Radio Okapi peut être un vecteur de sensibilisation par rapport à cette question. Bien sûr qu’il y avait aussi la question des élections.
 
Il y a réduction du budget de la MONUSCO pour l’exercice 2018-2019. Comment cette Mission entend-elle mener à bien son mandat avec un budget réduit surtout face aux multiples défis qui pourraient découler de l’organisation des élections ?
 
Le budget a été réduit mais on a un budget spécial pour les élections qu’on a obtenu comme on l’a prévu et on l’utilisera uniquement pour les élections. Mais on a un budget général qui a été coupé effectivement de 42 millions USD, c’est important parce que moi quand j’ai laissé la MONUSCO en 2012, je reviens maintenant et il y a presque 40% de réduction sur le budget qu’il y avait en 2012. Il y a réduction du budget mais on travaille sur les priorités du moment, c’est-à-dire, changer notre posture. C’est comme ça qu’on a développé le concept de protection à travers des projections, c’est-à-dire avoir des forces plus mobiles que statiques qu’on peut déplacer là où on en a besoin, renforcer les réponses civiles plutôt que de penser à une réponse toujours policière ou militaire mais on travaille beaucoup sur la réconciliation. On travaille beaucoup sur comment convaincre et les partenaires et les Congolais à créer les opportunités économiques, parce que souvent les conflits ont des causes économiques, d’accès à la terre (…), donc comment créer un environnement qui construit la stabilité. Faire plus avec moins comme on dit. 
 
Leïla Zerrougui : « On n’a rien à gagner à empêcher les gens de s’exprimer »
 
On continue à travailler sur cette question. Depuis mon arrivée, la première priorité quand je suis arrivée était de ne pas trembler dès que quelqu’un dit ‘’je vais marcher et on va ramasser des cadavres, on va aller récupérer des gens en prison’’. Je crois que cette étape est passée même s’il y a toujours des difficultés parfois. Mais au moins on a une posture où on évite de tirer sur les gens ou de les tuer ou de les blesser. Ça c’est un acquis. Je pense qu’il faut toujours voir les progrès avant de se pencher sur ce qui reste. Je pense que sur les mesures de décrispation il y a eu de petits progrès. Il y a encore des questions qui sont pendantes. Effectivement, vous avez parlé des personnes qui sont encore détenues. Ce n’est pas nous qui avions choisi des personnes, mais ce sont les partis qui ont signé cet accord qui ont décidé d’examiner ces cas. Moi je continue à faire des plaidoyers à chaque fois quand je rencontre les autorités. La même chose sur les médias, partout où je vais, je rappelle que si l’opposition ne s’exprime pas, les élections ne seront pas considérées comme crédibles. Il faut absolument que l’espace soit ouvert, que l’opposition y croie et qu’on arrive à avancer sur des élections où la majorité de Congolais, quelle que soit leur position se diront : ‘’ça s’est quand même bien passé’’. C’est ça le plus important, c’est un plaidoyer que je continue de faire. Je n’ai pas la baguette magique de régler les problèmes, je n’ai pas la prétention de prendre des décisions à la place des Congolais. C’est leur décision. J’essaye de travailler avec eux et de les convaincre qu’on n’a rien à gagner à garder deux ou trois personnes en prison, qu’on n’a rien à gagner à empêcher à empêcher des gens de s’exprimer. Il faut voir le courage de prendre des décisions qui renforcent « l’inclusivité » et qui renforcent l’appui à des élections qui seront crédibles et transparentes.
 
Propos recueillis par Jean Ngandu.

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