Le Groupe d’études sur le Congo (GEC) évoque des risques de nouvelles violences dans le Kasaï. Dans un rapport publié mardi intitulé : «Mettre le feu à sa propre maison», ce projet de recherche de l’Université de New York revient sur les terribles violences qui ont déchiré cette région du Centre de la RDC faisant des milliers de morts. Le GEC pointe un recours disproportionné de la force pour réprimer la violence et regrette que le gouvernement ne se soit pas attaqué aux causes profondes du conflit.
Brutalité des miliciens, réponse disproportionnée des autorités
Le GEC note dans son rapport que le conflit qui a commencé comme un différend coutumier s’est propagé dans quatre provinces de la région avec la prolifération des groupes armés notamment au Kasaï et au Kasaï-Central et une réponse disproportionnée des forces de l’ordre.
Le document accuse les milices Kamuina Nsapu d’abus graves notamment le recrutement des enfants qui en constituaient 60% des effectifs. Des enfants initiés avec l’absorption d’une potion magique censée leur donner des pouvoirs surnaturels. Des potions qui contenaient également de l’alcool et des os humains moulus. Le rapport indique que les combattants Kamuina Nsapu pouvaient être très brutaux, se rendant notamment coupables de mutilation et de décapitation des employés du gouvernement.
«Les armes les plus communes possédées par les membres de la milice Kamuina Nsapu ont été des frondes et des bâtons de bois, souvent sculptés pour ressembler à des AK-47, qui, selon eux, se transforment en véritables AK-47 plus puissants que les armes des forces de sécurité étatiques. Cependant, il a également été rapporté que les milices Kamuina Nsapu ont, avec le temps, obtenu des armes plus sophistiquées à la suite de leurs affrontements avec les forces de sécurité», lit-on dans le rapport.
Face à cette insurrection, note le GEC, le gouvernement a réagi avec une force extrêmement disproportionnée.
Pour le groupe d’études, le gouvernement a privilégié dès le début la force militaire pour faire face aux milices Kamuina Nsapu.
Le document cite notamment ces propos du porte-parole de l’armée, général Richard Kasonga, qui déclarait : «Ce ne sont pas des enfants de chœur, mais des terroristes insurgés assoiffés de sang, ils tuent des gens.»
Le GEC évoque le cas des massacres perpétrés dans la commune de la Nganza à Kananga où, lit-on dans le rapport, des unités speciales de l’armée ont tué entre le 27 et le 29 mars 2017 des centaines de personnes de manière relativement indiscriminée pour tenter d’en extirper les sympathisants des Kamuina Nsapu. A en croire le GEC, la brutalité de cette réaction s’explique peut-être en partie par la nature magico-religieuse de la révolte.
«Selon deux sources distinctes, ainsi qu’un rapport de l’Union européenne, un chef de la milice Bakata Katanga de l’ancienne province du Katanga, Gédéon Kyungu, a également été impliqué dans cet épisode de violence», révèle le rapport.
Conflits communautaires
Le rapport aborde également l’ethnicisation du conflit. «Alors que l’insurrection était, au départ, un conflit au sein d’un clan, exacerbé par des agents de l’État, une fois arrivé dans la province du Kasaï, il a déclenché la violence entre les groupes ethniques», analyse le document.
La preuve avec la constitution de la milice Bana Mura composée principalement des membres des communautés Chokwe et Pende. Ces miliciens sont accusés de massacres qui auraient fait des centaines de morts dans les communautés Luba et Lulua.
Le GEC fait état des connexions entre des hommes politiques basés dans la région et au Kasaï et la milice Bana Mura qui aurait notamment reçu des armes.
Justice
Le GEC déplore que la réponse judiciaire tarde à venir. Le groupe d’études indique qu’un seul procès a été mené à terme pour violation des droits humains. En juillet 2017, sept militaires, dont plusieurs officiers, ont été reconnus coupables de meurtre et de gaspillage de munitions lors d’opérations des FARDC à Mwanza Lomba en décembre 2016.
Le rapport regrette qu’aucune arrestation ni procès des dirigeants des Bana Mura n’ait eu lieu.
Le Groupe d’études sur le Congo recommande notamment des poursuites militaires pour les exactions commises par des militaires et des policiers. Il invite également la CPI à annoncer l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis au Kasaï si les autorités congolaises ne poursuivent pas les responsables des violences.
Ce rapport du GEC rapport a été élaboré sur base de 53 entretiens entre novembre 2017 et mai 2018 à Kananga, Tshikapa et Kinshasa.
La région du Kasaï a basculé dans la violence en 2016 à la suite de l’insurrection menée par un chef traditionnel tué au mois d’aout de la même année par les forces de l’ordre. Les forces de l’ordre et les miliciens sont accusés des crimes de guerre et crimes contre l’humanité par des experts des Nations unies. Selon l’église catholique, 3 300 personnes ont été tuées dans la région entre octobre 2016 et juin 2017.