La République démocratique du Congo est sous régime d’embargo sur les armes depuis 2003. En clair, les armes ne devraient plus circuler sur le sol congolais. Nuance tout de même sur cette question : les Nations unies qui ont imposé l’embargo soulignent que « les autorités légales » peuvent bénéficier des armes, munitions et autres matériels. 18 ans après, les groupes armés continuent de se procurer des armes, et parfois en complicité avec les Forces armées de la RDC (FARDC) et certains pays voisins. Quelques acteurs de la société civile n’hésitent pas de parler de bilan « mitigé » de la résolution 1493 de l’ONU. En ce jour de la journée internationale de la paix, Radio Okapi revient les conséquences de la circulation des armes dans la partie Est de la RDC.
Contexte : la guerre
28 juillet 2003. Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte à sa 4797e séance, la résolution 1493 sur l’embargo des armes en RDC. Décision prise une année après la signature, à Sun City en Afrique du Sud, de l’Accord global et inclusif.
Pendant cette période, la RDC fait face aux tensions armées. Les milices et groupes armés locaux et étrangers opérant dans l’Est du pays sont les principales cibles de cette résolution.
Toutefois, le Conseil de sécurité avait décidé que tous les Etats membres, y compris la RDC elle-même, prennent des mesures nécessaires pour « empêcher » la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects, d’armes et tout matériel connexe aux milices et groupes armés congolais et étrangers.
Une année après, soit en 2004, le Conseil de sécurité de l’ONU, par sa résolution 1533 enjoint au gouvernement congolais à une « obligation d’une notification préalable au Comité des sanctions pour toute fourniture, vente ou transfert d’armes et autres matériels militaires en faveur des forces de sécurité congolaises. »
FARDC : implication directe et indirecte
L'embargo sur les armes à destination de la RDC est encore en vigueur. Il a été renouvelé une fois de plus, le 29 juin 2021, par le Conseil de sécurité de l’ONU à travers la résolution 2582 adoptée à l’unanimité de ses membres.
Si les armes continuent à circuler en RDC, les Forces armées de la RDC (FARDC) sont indexées et sont complices, directement ou indirectement. Dans le premier cas, l’armée appuie des certaines forces négatives en armes pour lutter contre d’autres forces négatives. Dans le second cas, les officiers militaires désertent et abandonnent les armes, au profit des groupes armés.
Pour l’ONU, dans sa résolution 2528 de 2020, l’armée congolaise est impliquée dans le trafic d’armes et munitions pour alimenter les conflits armés dans la partie Est du pays.
Dans ce même rapport, les experts de l’ONU ont confirmé la saisie de 83 boîtes de munitions et d’un sac contenant diverses munitions pour armes automatiques, PKM et fusils d’assauts de type AK.
Ces armes avaient fait l’objet d’un trafic entre les Forces armées de la RDC et des éco-gardes de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) du parc de la Garamba.
11 personnes, dont des officiers supérieurs de l’armée, ont été interpellées avant d’être déférées devant la justice militaire.
Par ailleurs, dans son rapport du 23 décembre 2020, l’ONU conclut que certains groupes armés jouent un rôle de proxy aux FARDC dans différentes zones de combat. Par conséquent, ils bénéficient d’un approvisionnement en armes venant directement de certains officiers FARDC, indique le même rapport.
L’ONU cite notamment le NDC/Rénové de Guidon Shimirayi au Nord-Kivu, utilisé pour lutter contre la coalition CMC/FDP-APCLS dans le territoire de Masisi et le Front des patriotes pour la paix-Armée du peuple (FPP-AP), dans le territoire de Lubero.
Même les Maï-Maï Biloze-Bishambuke auraient reçu l’appui logistique de la 12eme brigade d’intervention rapide en faveur de ces Maï-Maïn contre les groupes armés Banyamulenge du déserteur Makanika dans les hauts plateaux de Minembwe, précise le rapport.
D’autre part, le groupe Twirwaneho s’est également renforcé sur le plan militaire à la suite du détournement d’armes des FARDC et de la défection de plusieurs officiers et soldats de l’armée qui ont rejoint le groupe Makanika, parfois avec des armes.
Pour certains élus du Nord-Kivu et organisations des droits de l’homme, certains officiers des Forces armées de la RDC continuent d’alimenter en armes et munitions des combattants, dans le but de contrôler illicitement les carrés miniers. C’est le cas de FPP/AP de Kabido, qui contrôle les rivières Tayna et Lubero, dans le territoire Lubero.
Selon ces élus, cette milice reçoit des armes des officiers affairistes de l’armée, afin de poursuivre l’extraction de l’or en leur faveur.
Implication des pays voisins
L’ONU cite les Forces armées de la RDC dans le ravitaillement des groupes armés en armements et munitions dans les provinces de l’Ituri, Nord et Sud-Kivu. Mais elles ne sont pas les seules dans ce cas. Des pays de la région contribuent aussi au ravitaillement des groupes armés et milices dans l’Est de la RDC, selon certains rapports et témoignages des services de sécurité congolais.
Plusieurs sources au sein des services de sécurité congolais attestent que depuis la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RDC), le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), et celle du Mouvement du 23 mars, (M23), à ce jour, les pays de la région, dont le Rwanda, l’Ouganda, et la Somalie notamment continuent d’alimenter les conflits armés dans l’Est de la RDC, en fournissant des armes et munitions aux groupes armés opérant dans cette partie du pays.
Le NDC/Rénové de Guidon est cité notamment comme le groupe ayant reçu armes et munitions du Rwanda. Le pays de Paul Kagame aurait donné mission à Guidon Shimirayi, le chef du NDC/Rénové, de traquer les présumés génocidaires encore au sein des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR).
Des opérations conjointes entre les Forces spéciales rwandaises et le NDC/Rénové auraient été menées contre les FDLR au Nord-Kivu, d’après toujours les services de sécurité congolais. Les rapports des experts de l’ONU de 2019 et de 2021 avaient révélé la présence de l’armée rwandaise sur le sol congolais, ce que le Rwanda avait nié.
Dans son rapport publié le 12 septembre 2012, l’organisation des droits de l’homme Human Right Watch, avaient indiqué que des responsables militaires rwandais avaient fourni des armes aux rebelles à l’Est de la RDC, dont le M23.
Voici un extrait du communiqué de Human Right Watch tiré de son rapport en ce qui concerne l’appui du Rwanda au M23 :
(Goma, le 11 septembre 2012) – Les rebelles du M23 qui sévissent dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) sont responsables de crimes de guerre commis à grande échelle, y compris des exécutions sommaires, des viols et des recrutements de force, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Trente-trois des personnes exécutées étaient des jeunes hommes et des garçons qui avaient tenté de quitter les rangs des rebelles.
Certaines autorités rwandaises pourraient être considérées comme complices de crimes de guerre en raison de l’appui militaire continu qu’elles apportent aux forces du M23, a ajouté Human Rights Watch. L’armée rwandaise a déployé ses troupes dans l’est de la RD Congo pour appuyer directement les rebelles du M23 dans des opérations militaires.
Human Rights Watch a basé ses affirmations sur des entretiens, menés de mai à septembre, avec 190 personnes : des victimes congolaises et rwandaises, des membres des familles de victimes, des témoins, des autorités locales, ainsi que des combattants et anciens combattants du M23.
Le rapport de l’ONU, a également confirmé que le Rwanda et l’Ouganda ont livré des mitrailleuses 127 MM, des grenades et de mortiers au M23. Selon la même source, les rebelles du FRPI dans l’Ituri ont obtenu des armes de la part des officiers ougandais en échange de l’or.
En octobre 2019, James Bevan de l’ONG britannique « Conflit Armement Research » (CAR), citant Amnesty International, affirmait que des munitions russes et allemandes en provenance du Soudan, ont été également retrouvées chez des groupes armés en RDC.
L’Ouganda qui fabrique des munitions de type AK, les écouleraient en RDC, auprès des ADF à Beni, à en croire les services de sécurité, en échange des matières premières de la RDC.
Des armes qui déstabilisent la région
La circulation des armes et munitions de guerre entre les mains des groupes armées déstabilise la partie Est de la RDC, particulièrement, le Nord et le Sud Kivu. Les groupes armés se sont multipliés et s’approvisionnent toujours en armement et munitions, déstabilisant ainsi la région.
« Nous avons connu beaucoup de guerres dans la partie Est de la RDC. Des armes ont été laissées entre les mains de la population. Il y a aussi, les mauvaises conditions de vie des militaires et policiers. Ce qui pousse parfois certains d’entre eux, de vendre leurs armes, d’autres les font louer auprès des bandits qui opèrent dans la ville. La troisième cause, nos frontières jusque-là ne sont pas bien sécurisées, elles sont poreuses. A part ça, il y aussi le fait que, les armes ne sont pas tracées », a déclaré Amos Bisimwa, militant du mouvement citoyen OBAPJ-RDC.
La déstabilisation de l’Est du pays par certains pays voisins s’explique d’abord pour des raisons économiques, à en croire certains experts de la question. L’or, le cacao, le bois rouge, le coltan, la cassitérite bénéficient ainsi aux pays voisins.
En 2019, au Rwanda, Aldango Entity, Ltd, une raffinerie d’or établie à Kigali, avait officiellement commencé à exporter en mars 2019, indique le rapport de l’ONU du 20 décembre 2019.
Selon les experts de l’ONU, on retrouve en Ouganda quatre entreprises de raffinage d’or et de prestation de service dans ce domaine. Tout l’or traité vient de la RDC.
C’est ce qui explique notamment le soutien de certains pays de la région aux groupes armés opérant à l’est de la RDC. Selon nos sources, c’est dans le but de garder le contrôle sur les ressources naturelles du pays.
Les circuits d’opération
Dans le rapport des experts de l’ONU du 10 juin 2021, le document renseigne qu’entre 2020 et 2021, des combattants de l’URDPC/CODECO, du groupe Bon Temple et de la FDBC ont attaqué et occupé des mines d’or et pillé des centres de commerce de l’or dans la partie ouest du territoire de Djugu à Banyali-Kilo et à Walendu-Djatsi et à l’ouest d’Iga-Barrière, notamment sur la colline de Dii.
Selon la même source, à partir de mi-2020, des combattants de l’URDPC/CODECO et de la FDBC ont creusé dans les mines d’or se trouvant autour de Mungwalu, un des centres d’exploitation aurifère les plus importants du territoire de Djugu.
Avec une production artisanale estimée à 50 kilogrammes par semaine, l’or de Mungwalu avait été précédemment une source importante de financement du conflit durant les guerres de l’Ituri, selon les experts de l’ONU.
De juin 2020 environ à janvier 2021, jusqu’à 5.000 combattants de CODECO, dont beaucoup avaient été des creuseurs artisanaux préalablement, sont arrivés graduellement à Saïo, l’ancien quartier général de Kilo-Moto.
Beaucoup se sont mis à creuser dans les mines de Mungwalu. Depuis janvier 2021, jusqu’à 2.000 individus, dont la plupart étaient des combattants de l’URDPC/CODECO mêlés à ceux de la FDBC et à des civils, ont occupé la zone d’exclusion appartenant à la société Mungwalu Gold Mines (MGM) et extrait de l’or, jusqu’à mi-février 2021, en collaboration avec certains membres des FARDC et de la police des mines.
L’or produit a Mongbwalu tout au long de la présente période a été vendu a des négociants, notamment à Iga-barrière et Kampala en Ouganda.
La contre-bande d’or à grande échelle d’Ituri à destination de l’Ouganda s’est poursuivie tandis que, l’exportations d’or d’Ouganda avaient augmenté de 29% en 2019, totalisant près de 36 tonnes.
Les chercheurs de l’ONU ont cité la région de Rubaya dans l’Est de la RDC, qui fournit environ 15% de l’approvisionnement mondial en coltan.
Malgré les réglementations visant à garantir que les approvisionnements mondiaux en coltan n’alimentent pas les conflits, les chercheurs ont trouvé des preuves d’affrontements armés, de distribution d’armes et d’autres abus sur les sites d’extraction de coltan autour de Rubaya.
Des machettes et des fusils d’assaut Kalachnikov faisaient partie des armes distribuées aux creuseurs de mines pour les utiliser lors d’affrontements, selon le rapport.
Le cacao attire aussi
Le rapport de mi-parcours du groupe d’experts sur la RDC (S/2020/1283), ndique que dans le territoire de Beni, la culture, la récolte et la vente de cacao étaient pour partie liées à l’activité des ADF, de groupes Maï-Maï, d’agresseurs armés non identifiés et de membres des FARDC.
De nombreux cultivateurs de cacao ont eu du mal à accéder aux champs à cause de l’insécurité, et les attaques contre ces derniers ont augmenté pendant les périodes de récolte.
Du cacao provenant notamment de zones sous contrôle armé a été introduit clandestinement en Ouganda en 2020, et de nombreuses filières d’approvisionnement étaient opaques.
Au Sud-Kivu, le groupe armé Maï-Maï Yakutumba a vu sa structure modifiée après la défection de son chef adjoint, Alonda Bita, en août 2020.
Il a continué de financer ses activités par l’exploitation illégale de l’or dans la région de Misisi et l’abattage illicite, notamment du séquoia, une espèce protégée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.
En 2020, selon des creuseurs artisanaux, le NCD/Renove (Nduma defense of Congo) de Guidon Shimirayi, occupait le site minier de Matungu, dans le secteur de Wanianga dans le territoire de Walikale au Nord-Kivu. Sur place, ils exploitaient des minerais avant d’être chassé par les FARDC qui a leur tour seront accusées d’avoir d’exploitation des minerais.
Imposer des sanctions
Quant au professeur en droit de l’Université catholique de Louvain, Arnold Nyaluma, il s’interroge sur la non-sanction contre les pays de la région qui sont impliqués dans le trafic des armes avec des combattants congolais.
Il indique que ce problème ne peut être réglé que si l’on arrive à imposer des sanctions aux pays impliqués dans ce trafics illicites.
« Aujourd’hui, vous constatez encore que les groupes armés possèdent des armes neuves. Tout le monde s’intéresse pourquoi les communautés se font la guerre, mais aucun acteur n’ose étudier la filière du circuit des armes ! Ce sont quand même des armes qui viennent dans des containers, ce sont de gros colis qui arrivent et traversent nos frontières. Certains vont vous dire que, nous prenons des armes sur les militaires du gouvernement, d’autres vont vous dire que ce sont les rebelles qui ont laissé des armes. Mais 25 ans après, les groupes armés arrivent toujours à se ravitailler, c’est qu’il y a un circuit de ventes d’armes et que personne ne veut explorer », croit-il savoir.
Pr Arnold Nyaluma, auteur du livre « Les modes alternatifs de règlement des conflits - Une clé d'accès à la justice administrative congolaise ? » souhaite qu’au niveau du conseil de sécurité, qu’il y ait une résolution prise contre les états producteurs des armes et munitions de guerre qui violent cet embargo.
« Normalement aucun état ne peut livrer les armes sans qu’on ait des titres de traçabilité. Qu’on mette un lien entre le trafic des armes et le trafic des ressources naturelles », a-t-il conclu.
Bilan mitigé, résolution sur papier
18 ans déjà d’embargo sur les armes à destination de la RDC, mais l’impact de cette disposition de l’ONU, reste « mitigé », estiment certains acteurs publics et ceux de la société civile du Nord-Kivu.
Pour Jacques Katembo, ancien coordonnateur du programme PDDRC-S, cette mesure d’embargo n’a été respecté ni sur le « territoire congolais », encore moins par les « pays voisins ». Conséquence : les groupes armés sont non seulement prolifiques, mais aussi bien approvisionnés en armement et munitions de guerre.
« Cette résolution reste au niveau des papiers. Parce qu’on ne fabrique pas les armes à Masisi, à Lubero et à Beni. Les armes qui sont utilisées viennent de l’extérieur. Un effort devrait être fourni pour contrôler l’entrée des armes. Aussi, les armes qui sont en train d’être remises par les groupes armés, devraient être identifiées pour qu’on puisse dénicher comment elles sont entrées en RDC. Or, ce contrôle n’est pas fait », déplore M. Katembo.
Mais dans certains de leurs rapports, les experts de l’ONU détaillent les types d’armes reçues par les milices, les groupes armés, les Forces négatives en RDC, ainsi que leurs pays de provenance.
Pour sa part, Etienne Kambale, président du groupe thématique bonne gouvernance au sein de la société civile Nord-Kivu propose que le Conseil de sécurité des Nations unies étende ses sanctions aux multinationales et arrête des mécanismes pour les empêcher de continuer à alimenter les combattants en RDC.
« Ce que nous pouvons demander [à l’ONU], c’est d’arrêter les multinationales. Ce sont elles qui font entrer les armes dans la région des grands lacs. Elles entrent par la suite dans les pays voisins, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, puis la RDC, grâce à des multinationales et des firmes. Si l’Interpol pouvait intervenir pour coincer certaines multinationales responsables de ce trafic d’armes dans la région des grands, cela nous permettrait d’avancer », estime M. Kambale.
Espoir
Même si beaucoup restent à faire, Etienne Kambale se félicite tout de même des efforts des nations unies d’avoir mis cette disposition pour empêcher les armes de se retrouver entre les mains des rebelles.
« Ce sont des petits pas, qui accompagnent la RDC et certains pays de la région qui ont la volonté qu’on puisse avoir la paix, qu’on puisse évoluer. Le fait qu’il est reconnu dans cette résolution qu’il y a eu des violations des droits humains, ici à l’Est et que des groupes armés qui y font la guerre est une préoccupation du conseil de sécurité, ce sont des avancées. Nous, citoyens, nous ne sommes pas encore satisfaits. Mais les efforts qui sont en train d’être fournis par la RDC pour se mettre en ordre avec tous ces pays, est une bonne chose », a-t-il conclu.
Les acteurs locaux pensent que la RDC nécessite encore plusieurs années pour maitriser les armes en circulation illégale sur son territoire.
Pendant ce temps, le pays reste sous embargo sur les armes jusqu’au 1er juillet 2022, selon la dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, prise le 29 juin 2021.