Marches en RDC : quand le gaz lacrymogène menace la vie des bébés dans les maternités à Kinshasa

 

Centre de santé Lisanga où la police a lancé des gaz lacrymogènes le 25 février. Radio Okapi/Photo Babel Mpongo.

Les forces de l’ordre font régulièrement usage des gaz lacrymogènes pour disperser les foules lors des manifestions. Lors des trois dernières marches initiées par le comité laïc de coordination, un collectif affilié à l’église catholique de la RDC, la police a lancé des gaz lacrymogènes y compris dans les maternités mettant ainsi en danger la vie des nouveau-nés.
 
«Je dormais quand la grenade lacrymogène est tombée ici [maternité]. C’est une autre patiente qui m’a réveillée. J’avais mal aux yeux,  j’ai aspiré le gaz à travers la bouche, j’étouffais, je toussais. Nous étions coincées on ne pouvait ni sortir il y avait trop de fumée ni accéder au couloir. Un moment, nous avons cru que nous allions mourir», une femme enceinte qui a inhalé ce gaz dimanche 25 février à la maternité du centre de santé Lisanga dans la commune de Lemba.
 
Ce jour-là, la police a lancé les gaz lacrymogènes dans la paroisse St Benoit attenante à la maternité pour disperser les chrétiens qui voulaient marcher à l’appel du comité laïc de coordination pour réclamer l’application intégrale de l’accord politique de la St Sylvestre. L’enceinte de la maternité devenue suffocante, les femmes enceintes qui attendaient d’accoucher ont été finalement conduites dans les vestiaires.
 
«On est venu nous tirer de là pour nous amener dans les vestiaires qui étaient épargnés. Je me suis étalée au sol, cela m’a rendu malade. On m’a récupéré là pour m’enduire le visage de margarine. J’ai accouché la nuit de lundi à mardi. Dieu m’a fait grâce», raconte une jeune dame dont la grossesse était à terme aux moments des faits.
 
Des vies sauvées grâce aux courages des infirmiers
Des fidèles catholiques se couchent sur la pelouse après avoir entendu les sifflements des balles et les détonations des gaz lacrymogène à la sortie d’une messe dite par le cardinal Laurent Monsengwo à Kinshasa, le 12/01/2018. Radio Okapi/Ph. John Bompengo

 
Impuissantes face aux gaz lancés par la police, les infirmières se sont contentées de demander aux femmes qui venaient d’accoucher de s’abriter sous les lits.
 
«Nous avons recommandé aux femmes de bien couvrir les enfants et de se cacher sous les lits. Cinq minutes après, des lacrymogènes ont encore été jetés et la fumée s’est répandue dans la salle où se trouvaient les femmes qui avaient les douleurs d’enfantement. Avec l’aide de certains garçons, nous avons transporté ces dames et les avons emmenés à l’écart. Un bébé avait inhalé le gaz et a subitement changé de couleur de peau. Nous l’avons amené rapidement à l’hôpital saint Joseph. Aujourd’hui, il y a un changement», témoigne l’infirmière Marie-Jeanne Kajinga.
 
Ce même dimanche, à la maternité Saint Christophe de la Cité des Anciens combattants dans la commune de Ngaliema, le personnel soignant a du déplacer des femmes et leurs nouveau-nés vers les pièces épargnées par la fumée provenant des grenades lacrymogènes lancées par les forces de sécurité dans l’enceinte de la paroisse et la rue voisine à cette maternité. 
 
Exposition à des maladies

Une vue du batiment des Cliniques Universitaires de Kinshasa/RDC, le 06/02/2012. Radio Okapi/Ph. Aimé-NZINGA

 
Le professeur Jean-Marie Kayembe,  pneumologue aux Cliniques universitaires et doyen de la Faculté de médecine à l’Université de Kinshasa affirme que outre l’irritation des yeux, de la peau, l’inhalation des gaz lacrymogènes pour l’homme en général, mais surtout pour les jeunes enfants, a plusieurs conséquences.
 
«Cela peut provoquer l’œdème aigu du poumon qui peut conduire à la mort. La répétition peut conduire à l’aggravation de certains états, parce que des petites particules vont dans le sang. Et ce qui passe dans le sang n’épargne ni le cerveau, ni les autres organes. En structures fermées, c’est plus grave que lorsque cela survient en structure parfaitement ouverte. Pour une personne qui a déjà une affection pulmonaire et surtout chronique comme l’asthme, c’est davantage plus grave», affirme le professeur Jean-Marie Kayembe.
 
D’autres spécialistes parlent aussi du risque d’accouchements prématurés et de naissances avec malformations pour les femmes enceintes exposées longuement à ces gaz.

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