Saïd Djinnit: « J’ai entendu les préoccupations des uns et des autres»

Saïd Djinnit, envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu pour la région des Grands lacs, le 11/02/2015 à Kinshasa après une rencontre de travail avec François Muamba Tshishimbi coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. Radio Okapi/Ph. John Bompengo

L’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour les Grands Lacs, Saïd Djinnit, a été désigné par Ban Ki-moon pour rencontrer la classe politique congolaise au sujet du dialogue politique convoqué par le chef de l’Etat congolais, Joseph Kabila.

Dans un entretien accordé à Radio Okapi, il fait le point des entretiens qu’il a eus avec les autorités et acteurs sociopolitiques de la RDC.

Radio Okapi: Monsieur, Saïd Djinnit, dans moins d’une semaine, vous avez effectué une deuxième visite à Kinshasa. Quel est l’objet de vos consultations en RDC ?

Saïd Djinnit: Vous savez que le Secrétaire général [de l’Onu] m’a demandé de venir à Kinshasa rencontrer le gouvernement et toutes les parties prenantes au sujet du dialogue national qui a été annoncé par le président de la République, suite à une demande faite par le président de la République Kabila au secrétaire général en vue de mettre à sa disposition un facilitateur.

Le Secrétaire général a répondu au président qu’il dépêchait à Kinshasa son envoyé spécial en vue de discuter avec toutes les parties prenantes des contours du dialogue annoncé afin de lui permettre de prendre une décision finale et répondre au président de la République.

Evidemment, j’ai fait le tour de Kinshasa en rencontrant les responsables du gouvernement. J’ai eu le privilège d’être reçu par le président de la République en arrivant la semaine passée.

J’ai rencontré les parties prenantes. La plupart des parties prenantes en tout cas, qu’il s’agisse du gouvernement, des partis de la majorité présidentielle, de l’opposition, de la société civile, des confessions religieuses, des partenaires de la RDC pour essayer de recueillir ; donc, le maximum d’informations sur les points de vue des uns et des autres sur les questions liées au dialogue, notamment l’agenda, le timing, le rôle attendu du facilitateur, l’objet du dialogue, etc.  Voilà, toutes ces questions ont fait l’objet des consultations.

Avant d’aller à New-York pour partager avec les autorités à New-York des informations que j’ai pu recueillir, j’ai pensé qu’il était bon de revenir voir le président de la République dans le cadre de la confiance et de la transparence qui est requise en la matière, pour  partager avec lui certaines de mes impressions à la suite de ces consultations.  

RO: Pour l’instant, pouvez-vous dire un mot sur les avis recueillis auprès de vos interlocuteurs ?

SD : Ecoutez, il est évidemment trop tôt pour le dire et d’ailleurs je réserve d’abord le rapport sur les informations recueillies au Secrétaire générale et aux autorités des Nations unies concernées. J’ai partagé mes impressions avec le président de la République ce (vendredi) matin. Il y a certainement un certain nombre des convergences sur un certain nombre des choses. Mais, il reste encore quelques différences d’approches sur des questions liées au dialogue.

Certains évidemment sont prêts à se joindre au dialogue. D’autres ne veulent pas se joindre au dialogue. Vous savez très bien que des partis de l’opposition, notamment la Dynamique de l’opposition et le G7, maintiennent le rejet de ce dialogue. Evidemment, je réserve le rapport sur les informations recueillies au Secrétaire général des Nations unies.

RO: Vous avez rencontré donc la classe politique congolaise. Certains médias parlent d’une rencontre entre Saïd Djinnit et Etienne Tshisekedi à Bruxelles. Est-ce que vous confirmez cela ?

SD : Ecoutez, dans le cadre des consultations, les leaders de l’UDPS ont souhaité que j’aille le voir à Bruxelles. C’est ainsi que j’ai rencontré une délégation à Bruxelles. Il n’y avait pas Etienne Tshisekedi personnellement. Mais, avant cela, j’ai eu l’occasion de rencontrer le président de l’UDPS, Monsieur Etienne Tshisekedi.

RO: Certains observateurs au pays craignent qu’au regard du dernier discours  du chef de l’Etat qu’à l’issue de ce dialogue qu’il y ait effectivement un changement de la constitution qui pourrait introduire un mode de suffrage indirect et qui permettrait au président de la République de se maintenir au pouvoir. Quel est votre point de vue par rapport à ça ?

SD : Je n’ai pas de point de vue (là-dessus). Par contre, j’ai bien entendu les préoccupations des uns et des autres. Et parmi ces préoccupations, il est vrai qu’en arrivant la semaine passée ici à Kinshasa et au lendemain du discours du président de la République, j’ai bien vu que dans certains milieux notamment de l’opposition, l’interprétation faite du discours présidentiel au sujet de cette phrase qui parle de changement des modalités du vote (…) comme une possible révision de la constitution pour l’introduire, comme vous le dites.

Evidemment j’en ai fait état dans mes discussions avec les responsables du gouvernement et de la majorité présidentielle qui ont clarifié qu’il ne s’agissait pas de cela, qu’il s’agissait d’une proposition faite pour (re)voir les modalités du vote notamment. Ils ont à l’esprit le vote électronique pour gagner du temps. Vous savez très bien que moi je n’ai pas des positions sur les intentions des uns et des autres. Ce que je sais, c’est que les Nations unies, quand elles sont engagées dans un processus, c’est sur la base d’un certain nombre des valeurs et de principes qui sont ceux des Nations unies, y compris le respect de la constitution.

RO: Vous êtes l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies dans les Grands Lacs. Mais, c’est également vous qui avez finalement la mission de consulter la classe politique congolaise. Peut-on dire que Saïd Djinnit va devenir le futur facilitateur du dialogue congolais ?

SD : La réponse à cette question est entre les mains du Secrétaire général (de l’Onu). Il faut poser la question au Secrétaire général.

RO: Vous avez été pendant quelques semaines facilitateur au Burundi. Et ça n’a pas été concluant. Avez-vous un commentaire à ce sujet ?

SD : Ecoutez, moi  je crois que c’est un mauvais procès qu’on fait à ce facilitateur qui s’est retrouvé dans une situation particulière de l’histoire de ce pays que je connais très bien,  le Burundi,  pour avoir été associé à l’histoire de ce pays quand j’étais responsable de l’OUA (Union africaine actuellement) dans les années 90.

J’ai fait une facilitation qui s’est passée dans la règle de l’art, je peux vous l’affirmez. Ceux qui connaissent très bien le dossier le savent très bien.  Pour l’histoire, évidemment, cette facilitation a été faite de concert avec toutes les institutions régionales : Union africaine,  la CIRGL,  la SADC, qui étaient impliquées, les partenaires qui étaient impliqués. Donc, c’était vraiment un travail collectif que j’animais parce que je m’étais retrouvé à un certain mois d’avril seul entre les Burundais.

Ils m’ont demandé, sur la base d’un agenda précis qu’ils ont eux-mêmes mis sur pied et de l’ordre du jour qu’ils ont eux-mêmes décidé et surtout d’un travail de dialogue qui a été décidé par les Burundais eux-mêmes... Ils m’ont tout simplement demandé de faciliter ce travail que j‘ai fait encore une fois dans la règle de l’art. Je prétends que c’a été un travail impeccable. Je le dis avec force. 

Malheureusement, ce dialogue n’avait pas le vent en poupe parce que certains ne voulaient pas continuer avec ce dialogue tant que la question du maintien au pouvoir, du troisième mandat n’était pas réglée. Malheureusement, comme vous le savez, le sommet (des chefs d’Etat) de la région Est africaine n’a pas pris une décision définitive, en tout cas tel que reflétée.

J’ai assisté au débat à-huis-clos et je sais ce qui est dit par les chefs d’Etat,  mais le communiqué était ambigu,  ce qui a permis évidemment beaucoup d’interprétations. Et certains parmi les forces en présence n’ont pas souhaité que ce dialogue continue, tant que cette question n’était pas évacuée malheureusement. 

En essayant de faire leur droit de ne pas poursuivre ce dialogue, mais je crois qu’ils ont été injustes à l’endroit d’un facilitateur qui a fait un travail loyal, objectif, impartial et professionnel. Mais enfin, c’est l’histoire. Un jour, quand j’écrirai mes moires, les gens sauront exactement ce qui s’est passé.  Et ils l’apprécieront, le travail impeccable qui a été fait par le facilitateur des Nations unies.

RO: Quelle relation faites-vous entre ce dialogue national qui est envisagé en RDC et les  engagements nationaux qui ont été souscrits par la RDC dans le cadre des accords d’Addis-Abeba ?

SD : Cette relation est faite par les Congolais eux-mêmes.  Puisque aussi bien la partie gouvernementale (majorité) que d’autres de l’opposition  se réfèrent aux engagements à juste titre souscrits par la RDC dans le cadre de l’accord-cadre notamment les engagements sur la réconciliation nationale, le dialogue.

Et je crois qu’on ne peut que se réjouir du fait que les Congolais soient aussi attachés aux objectifs de l’accord-cadre et aux engagements qu’ils ont souscrits dans le cadre de l’accord-cadre. Evidemment, le dialogue est bienvenu mais il est important que toutes les parties prenantes se mettent d’accord sur les termes de ce dialogue pour qu’ils s’y engagent sur des bases saines et qui sont porteuses des promesses pour la consolidation de la paix, de la sécurité et de l’unité de ce pays.

Vous pouvez télécharger et suivre cet entretien entre Saïd Djinnit et Martin Sebujangwe :

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