RDC: L’affaire Chebeya en 15 dates

Floribert Chebeya, militant congolais des droits de l’homme assassiné à Kinshasa. Son corps a été découvert sans vie le 2 juin 2010 dans la périphérie ouest de Kinshasa.

Figure de proue de la défense des droits de l’homme en République démocratique du Congo, Floribert Chebeya a été assassiné et son corps retrouvé à Kinshasa en juin 2010. Fidèle Bazana, son collègue et chauffeur à la Voix des sans voix, a été déclaré mort par un juge mais son corps n’a jamais été retrouvé. Quatre personnes ont été condamnées à mort à l’issue d’un procès de près de huit mois qui s’est terminé sur un goût d’inachevé, selon les parties civiles. Vendredi 1er et samedi 2 juin, les défenseurs congolais des droits de l’homme commémorent le deuxième anniversaire de l’assassinat Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. Chronologie de l’affaire Chebeya en quinze dates.

2 Juin 2010

Depuis la veille, Floribert Chebeya et Fidèle Bazana sont portés disparus. Alertés, les défenseurs des droits de l’homme se rendent à l’inspection générale de la police. Son épouse, Annie Chebeya, s’y trouve aussi. Dans une interview à Radio Okapi, elle affirme que son mari avait rendez-vous la veille avec l’inspecteur général de la police, le général John Numbi. Annie et Floribert Chebeya ont même communiqué par textos avant que le téléphone de ce dernier ne s’éteigne. Lorsqu’elle donne son interview, mercredi 2 juin à Radio Okapi, Annie Chebeya ne sait pas encore que la police a découvert le corps de son mari sans vie sur la banquette arrière de sa voiture dans la périphérie ouest de Kinshasa.

Radio Okapi annonce la mort de Chebeya. Les médias internationaux relaient la nouvelle. C’est l’émoi. Les condamnations jaillissent de partout : Paris, Bruxelles, Washington, les ONG internationales…condamnent à l’unisson ce que l’on perçoit déjà comme un assassinat.

3 juin 2010 

Le Général Jean de Dieu Oleko, commandant provincial de la police de Kinshasa, 3/06/2010.

Au cours d’une conférence de presse, l’inspecteur provincial de la police de la ville de Kinshasa, le général Jean de Dieu Oleko commente devant la presse son communiqué de presse publié la veille. Dans ce document, il indique que le corps de Floribert Chebeya a été retrouvé sur le siège arrière de sa voiture. A côté de lui, poursuit le communiqué, on a retrouvé des ongles, des mèches des femmes et un paquet de préservatifs. Le communiqué précise qu’aucune trace visible de violence n’a été constatée sur le corps du défunt.

5 juin 2010 

Général John Numbi, inspecteur général de la police congolaise dans son bureau, à Kinshasa, mai 2010.

Le président  Joseph Kabila préside, à Kinshasa, une réunion extraordinaire du Conseil supérieur de la défense. Un seul point à l’ordre du jour: la mort de Floribert Chebeya.

Au cours de cette rencontre, un certain nombre de décisions sont prises. Le général John Numbi Banza Tambo, inspecteur général de la Police nationale congolaise (PNC) est suspendu  à titre conservatoire « pour permettre un déroulement serein de l’enquête diligentée sur la mort de Floribert Chebeya ».

Son adjoint, le général Charles Bisengimana est désigné pour exercer à titre intérimaire les fonctions d’inspecteur général de la Police nationale congolaise.

7 juin 2010 

Professeur Adolphe Lumanu Mulenda Buana N’sefu, vice Premier Ministre, Ministre de l’intérieur et Sécurité de la RDC le 8/06/2011 à Kinshasa.

Le ministre congolais de l’Intérieur Adolphe Lumanu donne son accord pour que le corps de Floribert Chebeya soit autopsié par une équipe de médecins néerlandais composée d’un légiste et de ses assistants. Les experts néerlandais « feront des prélèvements et les analyses se feront aux Pays-Bas », indique à l’AFP une source proche du dossier.

Un militant de la VSV qui a pu voir la dépouille de Floribert Chebeya le 3 juin a constaté qu’il y avait « du sang sur la bouche, le nez et les oreilles (de la victime), et un gonflement au niveau du front et du cou », rapporte l’AFP. L’autopsie sera faite le 11 juin à l’hôpital général de référence de Kinshasa.

10 juin 2010 

Flory Kabange Numbi, procureur général de la RDC. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

Le procureur général de la République accrédite la thèse de meurtre et non d’assassinat.

« Aujourd’hui, je voudrais porter à votre connaissance que les éléments obtenus à ce jour tendent à montrer qu’il s’agirait d’un meurtre. Mais l’enquête n’est pas encore terminée et nous attendons notamment les résultats de l’autopsie pour confirmer cette hypothèse. Lorsqu’il y a préméditation, c’est à ce moment là qu’on dit qu’il y a eu assassinat », affirme-t-il.

23 juin 2010 

Une vue du siège de la haute cour militaire à Kinshasa

Flory Kabange Numbi, procureur général de la république boucle son enquête et transmet le dossier Chebeya à l’auditorat militaire qui à son tour va ouvrir une enquête. Il déclare que les présumés assassins de Chebeya sont des justiciables des juridictions militaires. Il dit avoir décelé les indices de culpabilités sur les relevés d’écoute téléphonique et le rapport des légistes hollandais.

26 juin 2010 

Au centre le Cardinal Laurant Monsengwo Pasinya et les éveques du Congo à Kinshasa lors de la premiére célébration du cardinal devant les fidèles catholique. Radio Okapi / Photo John Bompengo

Le corps de Floribert Chebeya est inhumé au cimetière de Mbenseke Futi après une messe d’action de grâce en la cathédrale Notre Dame du Congo.

Au cours de son homélie, l’archevêque de Kinshasa, Monseigneur Laurent Monsengwo,  condamne toute atteinte à la vie humaine, avant d’exiger de l’Etat congolais une enquête sérieuse pour trouver les coupables et les punir.

«Tuer quelqu’un qui fait partie des défenseurs des droits de l’homme, ce n’est pas un bon signe pour la démocratie. Parce que la défense des droits de l’homme fait partie de la démocratie. Si donc on tue ce genre des personnes, c’est dire que la démocratie ne s’est pas tout à fait enracinée dans le pays», affirme le prélat catholique.

9 juillet 2010 

Les médecins Congolais et Néerlandais qui ont pratiqué l’autopsie du corps de Chebeya. (droits tiers)

La famille Chebeya demande une enquête internationale sur l’assassinat de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana. Le rapport de l’autopsie est publié la veille. « L’autopsie effectuée le 11 juin sur le corps de Floribert Chebeya n’a pas pu démontrer avec certitude la cause du décès. Les observations sont fortement en faveur d’une cause primaire impliquant le cœur, car des anomalies préexistantes au niveau du muscle cardiaque ont été constatées», indique un communiqué conjoint du parquet général de la République et de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas.

11 juillet 2010 

Trois jours après le rapport d’autopsie, La Voix des sans voix demande « l’arrestation immédiate » du général John Numbi. Dix mois plus tard, elle réitérera cette demande avec d’autres ONG congolaises. En vain.

14 octobre 2010 

L’auditeur général près la Haute cour militaire estime  que les éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’instruction pré juridictionnelle conduite par son bureau du 24 juin au 8 octobre 2010 sont suffisants pour justifier le renvoi du dossier judiciaire dans l’affaire Floribert Chebeya devant le juge.

12 novembre 2010 

Première audience dans l’affaire Chebeya à l’auditorat militaire de la Gombe. Entrée de 8 prévenus tous policiers (Kinshasa, le 12 novembre 2010)

Le procès s’ouvre à la Cour militaire de la Gombe à Kinshasa. A la barre : 8 prévenus tous policiers dont le colonel Daniel Mukalay, chef des services spéciaux de la police. La salle exiguë est bondée de monde. Les avocats de la partie civile demandent et obtiendront la délocalisation de ce procès à la prison de Makala.

Le général John Numbi et l’inspecteur provincial de la police  de Kinshasa, le général Jean de Dieu Oleko sont identifiés comme des renseignants.

19 novembre 2010 

Annie Chebeya, veuve de Floribert Chebeya, adresse une lettre ouverte au chef de l’Etat congolais Joseph Kabila. Dans sa correspondance, Mme Annie Chebeya désigne explicitement l’inspecteur général de la police nationale congolaise comme le commanditaire du meurtre de son défunt époux. Et demande qu’il soit dans le box des accusés.

«Ce que je demande au président  de la République, c’est de faire ce qu’il m’avait promis. Il m’avait  promis qu’il allait suivre le procès de Floribert et faire tout pour qu’on arrête les assassins  de Floribert et de Bazana Fidèle et qu’on puisse les juger et les sanctionner», a déclaré Annie Chebeya « révoltée de constater que le général John Numbi ne soit entendu qu’en qualité de témoin ».

7 février 2011 

Le général Oleko

L’inspecteur provincial de la police de la ville de Kinshasa, le général Oleko comparaît devant la cour militaire à la prison de Makala. Il est entendu sur le premier communiqué officiel qu’il avait publié le 2 juin 2010 annonçant officiellement la mort de Floribert Chebeya. Confronté à son officier de renseignements, le général accepte de rectifier son communiqué et élaguer la mention mensongère selon laquelle aucune trace visible de violence n’a été constatée sur le corps sans vie de Chebeya lorsqu’il a été découvert.

17 mars 2011 

De gauche à droite, Marie-José Bazana, l’épouse de Fidel Bazana et Me Mukendi, avocat de la partie civile, ce 24/03/2011 à Kinshasa, lors du procès Chebeya. Radio Okapi/ Ph John Bompengo

L’état civil a établi la veille le certificat de décès de Fidèle Bazana, le chauffeur et militant des droits de l’homme au sein de la VSV qui avait accompagné feu Floribert Chebeya à son rendez-vous du 1er juin 2010 avec l’inspecteur général de la Police nationale congolaise, le général John Numbi. Au cours de l’audience du 17 mars, la veuve Bazana demande à l’Etat congolais de lui restituer le corps de son mari pour organiser les obsèques.

23 juin 2011 

Le colonel Daniel Mukalayi ce 23/06/2011 à Kinshasa, lors de sa condamnation par la haute cour militaire. Radio Okapi/ Ph. Bompengo

Le verdict tombe. Le colonel Daniel Mukalayi, accusé principal dans le procès de l’assassinat de Floribert Chebeya de la Voix de Sans Voix  et de son chauffeur Fidèle Bazana, a été condamné à la peine de mort par la cour militaire de Kinshasa jeudi 23 juin 2011. Le condamné est également destitué de la Police nationale congolaise. La même peine est infligée à trois autres co-accusés dans cette affaire. Un policier est condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Trois ont été acquittés.

Les parties civiles et la défense vont interjeter appel. Un après an ce verdict, les parties civiles attendent et réclament toujours l’ouverture d’un procès au second dégré.